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Cet article est issu du Projet Professionnel Individuel (PPI) Alumni Students Writing Challenge (ASWC) auquel sont soumis les étudiants du Master 2, Droit des Vins et Spiritueux, de l’Université de Reims Champagne-Ardenne.


Faisant leur apparition aux yeux du grand public en 2013, aux États-Unis, les Hard Seltzer sont des boissons gazeuses alcoolisées comportant un faible taux d’alcool ainsi qu’un faible taux de sucre. Leurs ventes ont explosé depuis 2016, et émergent de plus en plus au sein du territoire de l’Union européenne.


Si le sujet est intéressant à développer aujourd’hui, c’est au regard du lien entre cette nouvelle catégorie de boissons alcoolisées et la réglementation européenne. Cette dernière préexistante à l’arrivée de la boisson sur le marché, elle a dû s’adapter.

Ainsi, l’historique de la règlementation relative aux boissons à faible teneur en alcool nous aidera à comprendre les enjeux entourant les Hard Seltzer.

L’apparition des boissons à faible teneur en alcool sur le marché de l’Union européenne

D’autres boissons du même type que les Hard Seltzer sont déjà apparues sur le continent européen par le passé, ce qui engendré des réactions législatives et réglementaires de la part de certains Etats membres. Il est donc apparu intéressant d’analyser dans un premier temps ces antécédents au travers l’exemple de la France afin de comprendre les interrogations que l’on pourrait se poser avec la commercialisation des Hard Seltzer.

  • Les réactions législatives françaises face à la commercialisation de boissons à faible teneur en alcool

Dans les années 1990, un nouveau format de boisson est apparu en France[1]. Dénommées « prémix » qui provient de l’anglais « premixed » et signifie « pré-mélangé », elles étaient la combinaison d’une boisson spiritueuse et de soda ou jus de fruit. Comportant entre 5 et 8% d’alcool maximum, elles ont suscité de nombreuses réactions de la part de médecins et politiques en raison de cette faible teneur en alcool et de la cible visée : les adolescents.

La première difficulté qu’engendrait leur commercialisation est qu’il n’existait, à l’époque, aucune définition légale pour ce type de boissons spécifiques. Il a fallu attendre que la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) en donne une définition : « mélanges de boissons non alcooliques et de boissons alcooliques (alcools, produits intermédiaires, vins et autres boissons fermentées, bières) »[2]. Celle-ci sera reprise plus tard dans le Code général des impôts (CGI)[3].

La seconde difficulté rencontrée par le gouvernement français était le public visé par ces produits. Avec un contenant le plus souvent sous forme de canette, paré de couleurs attrayantes et mettant en avant une forte teneur en sucre et une faible teneur en alcool, les producteurs de ces boissons visaient surtout les jeunes adolescents âgés entre 12 et 15 ans[4]. L’État français a donc mesuré le danger qu’une telle commercialisation engendrerait sur le marché. Le risque d’incitation à la consommation des mineurs était en effet à prendre en considération. À cet âge-là, les adolescents sont attirés par le sucre et les boissons fraiches et leurs connaissances en matière d’alcool (comme le vin par exemple) ne sont pas forgées, ils ne sont donc pas sensibles à ce qu’ils boivent.

C’est ainsi que dans le cadre de la loi du 27 décembre 1996[5], le gouvernement a proposé de créer une taxe particulière sur ces « prémix ». En son article 29, la loi intègre ainsi cette taxe au sein de l’article 1613 bis du CGI. Il en ressortira également une définition légale des boissons[6] :

« Les boissons constituées par :

  1. Un mélange préalable de boissons ayant un titre alcoométrique acquis n’excédant pas 1,2 % vol. et de boissons alcooliques définies aux articles 401, 435 et au a du I de l’article 520 A ;

(…)

font l’objet d’une taxe perçue au profit de la Caisse nationale de l’assurance maladie dès lors que la boisson obtenue présente un titre alcoométrique acquis de plus de 1,2 % vol. et inférieur à 12 % vol. »

Au départ, cette taxe n’était qu’à hauteur de 1,50 francs par décilitre (0,228 €). Deux ans après l’entrée en vigueur de la loi de 1996, le montant de la taxe passe à 36,4 francs par décilitre d’alcool pur[7] (5,5€). L’augmentation considérable du montant de cette taxe avait pour objectif de freiner la consommation de ces boissons[8]. Le choix de la taxation permet en effet une augmentation du prix du produit. Les jeunes adolescents ayant un pouvoir d’achat relativement faible, cela a pour objectif de réduire leur consommation.

On peut cependant douter de l’efficacité de cette règlementation puisque cela n’a pas empêché les producteurs de contourner la loi et de faire entrer des produits similaires[9] sur le marché. Dans le cadre de la Loi du 9 août 2004[10], on peut lire dans les débats parlementaires qu’un « amendement revisitant le dispositif législatif applicable aux prémix, qui a été contourné, en retenant comme critère la dose de sucre que contiennent ces boissons »[11]est proposé. La précédente taxation était en effet jugée « inefficace, car les fabricants parviennent à contourner les contraintes fiscales imposées à ces boissons alcoolisées ; (…). De plus, la surtaxation de ces produits n’aura pour effet que de déporter les consommateurs vers d’autres types de boissons alcoolisées. »

Les producteurs de ces nouvelles boissons contournent la loi en utilisant un procédé de fermentation proche de la bière, afin d’atteindre seulement 5% voire 7% d’alcool[12]. Ces nouvelles boissons ne sont donc plus des « mélanges » comme les prémix, mais des boissons à base de rhum ou de vodka, fermentées pour ne comporter qu’un très faible taux d’alcool.

L’amendement proposait ainsi d’élargir la taxe sur les prémix aux « ready to drink », les « prêts à boire » qui sont apparus en France dans les années 2000[13] et également de l’augmenter. Une taxe de 11€ par décilitre d’alcool pur a été votée, s’appliquant à la fois aux prémix et aux ready to drink : « Les boissons constituées par :

  1. Un mélange préalable de boissons ayant un titre alcoométrique acquis n’excédant pas 1,2 % vol. et de boissons alcooliques
  2. Un ou plusieurs produits alcooliques ».

Il ressort de ces législations deux catégories distinctes de boissons. D’une part, il existe ce que l’on nomme les « prémix » qui sont des boissons produites à partir d’une boisson spiritueuse à laquelle on ajoute une boisson sans alcool tel qu’un soda ou jus de fruit. Ce sont en réalité de simples boissons alcoolisées prêtes à déguster. D’autre part, nous avons ce que l’on nomme « ready to drink » ou « alcopop » pour « alcool » et « pop » qui fait référence aux sodas en anglais, qui sont des boissons à base d’alcool fermenté d’origine agricole comme le sucre par exemple, auxquelles on ajoute des ingrédients tels que de l’eau ou de la limonade. Il existe ainsi des alcopops à base de vin ou de malt de bière.

  • L’entrée des Hard Seltzer sur le marché de l’Union européenne et les nouvelles interrogations qui en découlent

Aujourd’hui, c’est une nouvelle forme de boisson alcoolisée en provenance des Etats-Unis qui nous intéresse car elle commence à apparaître en Europe : les « Hard Seltzer ». En français, « seltzer » signifie « eau gazéifiée »[14] et « hard » fait référence à l’alcool contenu dans la boisson par opposition aux « soft » qui désignent des sodas. Il existe par ailleurs une définition des termes « hard seltzer » dans le dictionnaire de Cambridge : « a drink consisting of fizzy water, alcohol, and flavouring », autrement dit « une boisson gazeuse alcoolisée et aromatisée ».

Ces nouvelles boissons ont commencé à apparaître aux Etats-Unis en 2013 selon CNN Business[15]. Ici encore, le faible taux d’alcool, qui est compris entre 5 et 14%, est mis en avant. En revanche, on peut se poser la question de sa catégorisation. Contrairement aux prémix, les hard Seltzer sont des boissons à base d’alcool agricole fermenté – dans la plupart des cas, il s’agit soit de céréales fermentées (malt) soit de canne à sucre fermentée tout comme les alcopops – mais contrairement à ces derniers, il ne s’agit pas de boissons seulement alcoolisées et aromatisées, elles sont également gazeuses.

Selon les mêmes sources, c’est en 2016 qu’elles ont réellement explosé sur le marché américain avec la marque White Claw, créée en 2016 par le canadien Anthony von Mandl, propriétaire de la société Mark Anthony Brands. C’est grâce au youtubeur Trevor Wallace, qui a mis en scène les boissons en parodiant leurs consommateurs, que la marque a bénéficié d’une grande visibilité sur les réseaux sociaux[16]. Depuis, White Claw aurait augmenté ses ventes de 193% en 2019, avec un marché estimé à 550 millions de dollars (497 millions d’euros) pour la même année, selon les chiffres du cabinet Nielsen[17]. Selon l’Institut de recherche sur les vins et spiritueux (IWSR), les Hard Seltzer représenteraient en 2019, 2,6% du marché des boissons alcoolisées soit des ventes à 2,7 milliards de dollars[18].

La protection du consommateur se pose donc une nouvelle fois ici. Contrairement aux précédentes boissons qui mettaient en avant leur faible taux d’alcool, celles-ci font prévaloir une faible teneur en sucre. En effet, contrairement aux prémix et alcopops, les Hard Seltzer ne contiennent pas plus de 100 calories par canette de 33 centilitres[19]. Avec un public visé d’une tranche d’âge plus élevée que la précédente – on vise ici les 25-35 ans – cette seconde vague attire un public plus large du fait du faible taux de sucre. Les jeunes adultes qui ont un mode de vie très sain sont la cible adéquate. Ces derniers pratiquent de plus en plus d’activités physiques et ont une alimentation relativement bonne pour leur santé. On peut ainsi se demander si la promotion d’une boisson alcoolisée en raison de sa faible teneur en calories est plus raisonnable que l’incitation des jeunes à la consommation d’alcool.

La première erreur qui est faite est tout d’abord d’appeler ces boissons « eaux gazeuses alcoolisées », comme on le voit dans les journaux français. Il ne s’agit en réalité pas d’eau à laquelle nous aurions ajouté de l’alcool, mais plutôt tout à fait l’inverse. Il s’agit d’abord d’une boisson alcoolisée, à laquelle on ajoute ensuite des arômes et de l’eau. Une mauvaise utilisation des termes et dans un ordre contraire au sens qu’il en est réellement fait penser à une boisson sans risque pour la santé des consommateurs européens, alors qu’il s’agit tout de même d’une boisson alcoolisée. De plus, les entreprises axent leurs arguments de vente sur le faible taux de calories. Se pose donc la question de l’incitation à la consommation de ces boissons par le biais des indications nutritionnelles du produit.

L’encadrement des Hard Seltzer par la règlementation européenne

Suite aux interrogations qu’engendre la commercialisation des Hard Seltzer, il convient de se demander si la réglementation européenne y répond et dans le cas d’une réponse positive, si celle-ci est réellement efficace.

  • La réglementation des boissons alcoolisées au sein de de l’Union européenne

Depuis 1962, l’Union européenne a mis en place une Politique agricole commune (PAC), permettant ainsi une harmonisation des marchés vers des ambitions communes. Il s’agissait à l’époque de relever l’Europe d’après-guerre en regardant vers l’avenir avec de nouveaux objectifs tel que l’autosuffisance alimentaire sur le territoire des Etats membres. Cette nouvelle politique commune a révélé un atout considérable : celui du poids économique de notre continent en matière agricole ainsi qu’en matière de qualité.

Depuis, c’est au sein de l’article 38 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) que ces objectifs sont énoncés : « L’Union définit et met en œuvre une politique commune de l’agriculture et de la pêche.  » L’article 40 prévoit également qu’« en vue d’atteindre les objectifs prévus à l’article 39, il est établi une organisation commune des marchés agricoles » qui peut prendre différentes formes selon les produits. La liste est fixée à l’Annexe I du Traité et l’on peut y trouver les mentions suivantes « Fruits comestibles; écorces d’agrumes et de melons » au Chapitre 8 ou encore « Céréales » au Chapitre 10.

Ces deux catégories nous intéressent particulièrement car le vin et certaines boissons spiritueuses (comme le Cognac par exemple) sont des boissons alcoolisées produites à partir de raisin et que les bières et certains autres spiritueux (comme le Whisky) sont élaborés à partir de céréales.

C’est ainsi que le Règlement (UE) No 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles intervient. En son considérant (3) il énonce ce qui suit : « Il convient que le présent règlement s’applique à tous les produits agricoles énumérés à l’annexe I du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après dénommé parfois « traité ») (ci-après dénommés conjointement « traités »), afin qu’il existe une organisation commune du marché pour tous ces produits, comme le prévoit l’article 40, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. ».

À la lecture de ce même règlement, en ressortent différentes catégories de boissons alcoolisées :

  1. L’Annexe VII Partie II du Règlement précité en son paragraphe premier défini le vin comme le produit obtenu exclusivement par la fermentation alcoolique, totale ou partielle, de raisins frais, foulés ou non, ou de moûts de raisins ;
  2. L’article 3 du Règlement 251/2014 défini les vins aromatisés comme des produits issus de produits du secteur vitivinicole visés dans le Règlement (UE) no 1308/2013 qui ont été aromatisés, par renvoi au Règlement 1308/2013 dans son considérant (16) en énonçant que ce dernier ne s’applique pas aux produits viticoles aromatisés ;
  3. L’article 100 du Règlement 1308/2013 fait la mention de « boissons spiritueuses telles que définies à l’article 2 du règlement (CE) no 110/2008 du Parlement européen et du Conseil » ; ce dernier Règlement a par la suite été abrogé par le Règlement n° 2019/787 du 17 avril 2019 qui les définis en son article 2 ;

Concernant la bière, on peut se référer à la Directive européenne n°92/83 relative à l’harmonisation des structures des droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques qui la définit en son article 2.

Au vu des catégories susvisées et de la définition donnée par le CGI français, les Hard Seltzer ne rentrent dans aucune d’entre elles. Rappelons que les hard Seltzer sont unmélange préalable de boissons ayant un titre alcoométrique acquis n’excédant pas 1,2 % vol. et de boissons alcooliques définies aux articles 401435 et au a du I de l’article 520 A, ou bien, correspondent à un ou plusieurs produits alcooliquesqui ne répondent pas aux définitions prévues aux règlements (UE) n° 2019/787 et (UE) n° 1308/2013, ainsi qu’ au 5° de l’article 458, et qui contiennent plus de 35 grammes de sucre ou une édulcoration équivalente par litre exprimée en sucre inverti.

L’article 401 du CGI mentionné ci-dessus donne la définition des « produits intermédiaires » : « produits relevant des codes N. C. 2204,2205,2206 du tarif des douanes qui ont un titre alcoométrique acquis compris entre 1,2 p. 100 vol. et 22 p. 100 vol. et qui ne sont pas des bières, des vins ou des produits mentionnés aux b et c du 2° et au 3° de l’article 438 ».

Également, l’article premier, paragraphe 2 du Règlement (UE) n°1308/2013, prévoit que « les produits agricoles définis au paragraphe 1 sont répartis dans les secteurs suivants énumérés dans les parties respectives de l’annexe I ». Au sous x), la mention « autres produits, partie XXIV » apparaît. Cette partie XXIV énonce ce qui suit : « On entend par « autres produits » tous les produits agricoles autres que ceux énumérés dans les parties I à XXIII, y compris ceux énumérés ci-après dans les sections 1 et 2. » ; au sein desquelles on peut trouver relevant du Code NC « ex 2206 » : « Autres boissons fermentées (cidre, poiré, hydromel, par exemple); mélanges de boissons fermentées et mélanges de boissons fermentées et de boissons non alcooliques, non dénommées ni compris ailleurs. ».

Nous savons que le CGI désigne les prémix ainsi que les ready to drink puisque c’était le but premier de la création de l’article 1613 bis qui renvoie à l’article 401. Les « mélanges préalables de boissons » désignent les prémix tandis que les « produits alcooliques » désignent quant à eux les boissons « prêtes à boire ».

Qu’en est-il des Hard Seltzer ? Si l’on reprend le processus d’élaboration de ces boissons, il s’agit d’une combinaison de boisson à base d’alcool fermenté ainsi que de l’eau et des arômes. Le code NC 2206 faisant référence au mélange de boissons fermentées et de boissons non alcooliques, les Hard Seltzer feraient ainsi partie de cette catégorie. À partir de là, nous pouvons désormais analyser le poids de la règlementation européenne face à la commercialisation des Hard Seltzer.

  • Les réponses aux problématiques posées par les Hard Seltzer apportées par le droit de l’Union européenne et celui des Etats membres

Il est intéressant de constater que pour répondre aux problématiques engendrées par les Hard Seltzer, des solutions peuvent être trouvées à la fois grâce au droit de l’Union européenne (A) mais également par la volonté des États membres eux-mêmes d’établir des règles internes permettant d’enrayer ce phénomène (B).

Le régime européen des produits agricoles encadrant la problématique des allégations nutritionnelles

En ce qui concerne la présentation et l’étiquetage des denrées alimentaires, le Règlement (UE) n°1169/2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires s’applique.

Comme évoqué plus haut, dans le cadre de la commercialisation des Hard Seltzer, la difficulté apparaît au regard de la dénomination donnée à ces boissons. En effet, sur la plupart d’entre elles, le terme « spiked » y est apposé. Cela signifie « enrichi » en français. Si l’on souhaite traduire la totalité de la dénomination de certaines boissons, on peut trouver les termes suivants : « white sparkling water » quise traduit par « eau pétillante enrichie ».

Contrairement aux vins ou aux whisky et rhums par exemple, les Hard Seltzer n’ont pas de terme générique légal les définissant à part le nom de leur catégorie « autres produits ». Le problème se trouve donc dans l’absence de désignation claire de ces boissons. Pour les désigner, les entreprises qui en produisent ne font en effet pas référence au fait qu’il s’agit de boissons fermentées ; elles font simplement mention de « l’eau pétillante ». Parfois, le pourcentage en alcool est visible sur le produit mais le fait de dénommer cette boisson « eau pétillante enrichie » porte à confusion. Ces termes n’évoquent aucunement une boisson « alcoolisée » et certainement encore moins au consommateur, d’autant plus dans une langue qui n’est pas celle de tous les États membres de l’UE.

L’article 7 du règlement susvisé impose des pratiques loyales en matière d’information qui ne doivent pas induire en erreur notamment sur la nature de la denrée alimentaire[20]. Ainsi, on pourrait considérer qu’en utilisant la dénomination « eau pétillante enrichie » et en ne faisant référence qu’au pourcentage d’alcool contenu dans la boisson, les producteurs des Hard Seltzer induisent le consommateur en erreur en n’indiquant pas clairement qu’il s’agit d’une boisson alcoolisée.

De plus, le Règlement (UE) n°1169/2011 renvoie au Règlement (CE) n°1924/2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires en son considérant (38) en énonçant qu’il doit lui être conforme. Ce dernier, en son article 3, c) précise que « les allégations nutritionnelles et de santé ne doivent pas : encourager ou tolérer la consommation excessive d’une denrée alimentaire ; ». L’article 4, 3) du même règlement dispose que « les boissons titrant plus de 1,2 % d’alcool en volume ne comportent pas d’allégations nutritionnelles autres que celles portant sur une réduction de la teneur en alcool ou du contenu énergétique. » Au sein du même article, on nous explique que les sucres font partie des choses prises en compte pour établir les conditions d’utilisation des allégations nutritionnelles et de santé[21]. Cependant, l’article précise également que les boissons titrant plus de 1,2% d’alcool en volume ne peuvent comporter d’allégations nutritionnelles[22].

Ainsi, les mentions effectuées par la plupart des entreprises commercialisant des Hard Seltzer, relatives à la faible teneur en calories pour certaines ou la faible teneur en sucres pour d’autres, pourraient contrevenir à cette disposition. Il est par ailleurs envisageable de considérer que ces allégations encouragent à la consommation de la boisson, ce qui est interdit au sens de l’article 3.

Une solution inédite choisie par l’Écosse : le prix minimum par titre d’alcool

Nous avons vu que les boissons alcoolisées à faible teneur en alcool sont présentes sur le marché depuis quelques années maintenant, qu’elles vont et viennent par vague, innovant d’ingéniosité à chaque fois pour faire découvrir au consommateur un nouveau produit à déguster. Pour la protection de ce dernier, les États membres de l’UE ont tenté de lutter contre une éventuelle consommation excessive d’alcool. Les Hard Seltzer comportent en effet un faible taux d’alcool, néanmoins elles en comportent tout de même.

En ce qui concerne la lutte contre la consommation excessive d’alcool, l’Écosse en est un exemple récent. Pour contextualiser, voici quelques chiffres présents dans le projet d’évaluation d’impact sur les entreprises et réglementaire d’un prix minimal par unité d’alcool tel que visé par la loi relative à l’alcool (prix minimal par unité) présenté par l’Ecosse en 2012[23] :

  • En 2010, les ventes dalcool en Écosse étaient équivalentes à 22,8 unités par personne et par semaine (11,8 litres dalcool pur), près d’un quart de plus qu’en Angleterre et au Pays de Galles, et parmi les plus élevées en Europe occidentale ;
  • Alors que la consommation dans de nombreux pays (comme la France, lItalie et lEspagne) a chuté au cours des dernières décennies, la consommation au Royaume-Uni a doublé depuis les années 1950 (avec une augmentation de 11 % en Écosse depuis le milieu des années 1990).
  • Les sorties des hôpitaux liées à lalcool ont quadruplé depuis les années 1980, avec plus de 100 Écossais admis à lhôpital chaque jour. »

Ce rapport précise également que le nombre de décès dus à l’alcool a doublé durant les dernières décennies, contrairement à des pays comme la France, l’Italie ou l’Espagne, où elle a diminué. C’est donc dans une logique de remédier à cette situation que l’Ecosse a décidé d’agir.

C’est ainsi qu’en mai 2012, le Parlement écossais a adopté une loi relative au prix minimum des boissons alcoolisées[24]. Dans un communiqué de presse[25], la Cour de justice de l’Union européenne précise que ce prix minimum par unité d’alcool (MUP) est applicable à toutes les boissons alcoolisées en Écosse. Le prix est calculé en fonction de la teneur et du volume d’alcool présent dans le produit. Ce MUP est de 50 pence (soit 0,57€ par unité d’alcool). Cette législation a fait l’objet d’une longue bataille judiciaire lancée notamment par la Scotch Whisky Association et plusieurs entreprises du secteur.

Tout d’abord, un premier jugement rendu par le Tribunal supérieur écossais a rejeté la plainte émise par la Whisky Scotch Association considérant que l’Ecosse « avait les compétences nécessaires à l’introduction de cette législation ». Les demandeurs ont par la suite fait appel de cette décision devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui a estimé, le 23 décembre 2015, que la loi écossaise avait « un effet très restrictif sur le marché, qui pourrait être évité par l’introduction d’une mesure fiscale visant à augmenter le prix d’alcool en lieu et place d’une mesure imposant un prix minimum de vente par unité d’alcool »[26].

Parallèlement, le Tribunal national d’Edimbourg avait soutenu la décision du Parlement écossais d’imposer un MUP. Mais encore une fois, ce jugement a fait l’objet d’un appel interjeté par la Whisky Scotch Association ainsi que le Comité Européen des Entreprises Vins le 18 novembre 2016 devant la Cour suprême du Royaume-Uni. Le 15 novembre 2017, la « bataille » s’achève par la décision de la Cour suprême du Royaume-Uni reconnaissant l’instauration d’un prix minimum par unité d’alcool comme « un moyen proportionné pour atteindre un but légitime » et donc compatible avec le droit de l’Union européenne[27].

La mesure est depuis entrée en vigueur le mardi 1er mai 2018 et promet de nouvelles retombées législatives de la part des autres pays britanniques. En effet, depuis l’instauration de la loi, la Ministre de la Santé publique du Pays de Galles a établi un projet de loi sur un prix minimum d’alcool et des discussions sont en cours en Irlande pour inscrire cette mesure dans le projet de loi sur la santé publique[28]. De même, en France, un collectif d’experts a ainsi appelé à l’instauration d’un prix minimum[29].

Ainsi, la question se pose de savoir si cette mesure serait adéquate au vu du nombre de nouvelles boissons alcoolisées qui apparaissent sur le marché européen. Si cette mesure écossaise visait au départ des boissons à fort taux d’alcool commercialisées à un bas prix, elle pourrait également s’appliquer pour des boissons à faible taux alcoométrique, qui sont, quoi que peut-être moins dangereuses, tout aussi néfastes pour la santé du consommateur.

Sarah Breffy, Juriste en droit du vin et des spiritueux.


[1] Voir notamment : « Les hard seltzers, ces eaux pétillantes alcoolisées qui font une percée surprenante » par Marie Nicot, L’Express, 12/09/2020.

[2] Douanes & Droits indirects, Le portail de la direction générales des douanes et droits indirects, Lexique, Prémix. https://www.douane.gouv.fr/lexique/premix Consulté le 28/01/2022.

[3] CGI, art. 1613.

[4] « Cela ne m’empêche pas de réaffirmer que ces boissons alcoolisées présucrées me paraissent particulièrement nocives ; elles visent particulièrement la clientèle des jeunes, quoi qu’en disent certains, et doivent donc être traitées avec la plus grande rigueur. » https://www.senat.fr/seances/s200407/s20040709/s20040709001.html#section506 Consulté le 28/01/2022.

[5] Loi n° 96-1160 du 27 décembre 1996 de Financement de la Sécurité Sociale pour 1997.

[6] CGI, art. 1613.

[7] Loi de financement de la sécurité sociale de 1999 (Loi n° 98- 1194, Article 12) ; https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGIARTI000006757309/1999-01-01/ ; https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000392993/ Consulté le 28/01/2022.

[8] « Encore une fois, l’objectif de ces deux articles est partagé par tous, puisqu’il s’agit de restreindre la consommation d’alcool, en particulier chez les jeunes. » https://www.senat.fr/seances/s200407/s20040709/s20040709001.html#section506 Consulté le 28/01/2022.

[9] Voir les débats parlementaires de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique au point noté comme suit « après l’article 17 », Deuxième séance du jeudi 8 avril 2004, 191e séance de la session ordinaire 2003-2004.

[10] Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.

[11] Voir les débats parlementaires de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique au point noté comme suit « après l’article 17 », Deuxième séance du jeudi 8 avril 2004, 191e séance de la session ordinaire 2003-2004.

[12] https://intd.cnam.fr/medias/fichier/premixsynthese_documentaire__1215683286731.pdf Consulté le 28/01/2022.

[13] Ibid.

[14] Dictionnaire de Cambridge.

[15] « White Claw projects $1.5 billion in sales this year », Kerry Flynn, CNN Business, 20 novmenbre 2019.

[16] « Eau pétillante alcoolisée : pourquoi c’est la boisson star des jeunes Américains », SudOuest.fr avec AFP, SudOuest, 16 septembre 2019.

[17] Barmag. Attention, les « hard seltzers » débarquent en France !, Laurence Marot, novembre 2020, https://barmag.fr/attention-les-hard-seltzers-debarquent-en-france/ Consulté le 28/01/2022.

[18] « Qu’est-ce que les « hard seltzer », les eaux alcoolisées américaines qui cherchent à conquérir les Français ? », SudOuest avec AFP, SudOuest, 21 octobre 2020.

[19] « Eau pétillante alcoolisée : pourquoi c’est la boisson star des jeunes Américains », SudOuest.fr avec AFP, SudOuest, 16 septembre 2019.

[20] Règlement (UE) n°1169/2011, article 7, paragraphe 1, sous a).

[21] Règlement n°1924/2006, article 4, 1°, alinéa 2, a).

[22] Règlement n°1924/2006, article 4, 1°, alinéa 3, b).

[23] Cadre d’action : Changer la relation de l’Ecosse avec l’alcool, Évaluation d’impact sur les entreprises et réglementaire d’un prix minimal par unité d’alcool tel que visé par la loi relative à l’alcool (prix minimal par unité), Projet, Gouvernement écossais, 2012.

[24] Alcohol (Minimum Pricing) (Scoland) Act 2012.

[25] CJUE, Communiqué de presse n°155/15, 23 décembre 2015, affaire C-333/14. https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2015-12/cp150155fr.pdf Consulté le 28/01/2022.

[26] « La loi écossaise introduisant un prix minimum de vente par unité d’alcool est contraire au droit de l’Union dès lors que des mesures fiscales moins restrictives peuvent être introduites », Presse et information, Communiqué n°155/15 du 23 décembre 2015. Voir B. O’Connor, Minimum pricing for alcohol in Scotl and does not infringe EU Law, Jus Vini – Rev. Dr Vin & Spiritueux, 2018, n° 1.

[27] UK Suprem Court, 15 november 2017, Scotch Whisky Association and others (Appellants) v The Lord Advocate and another (Respondents) (Scotland) ; https://www.supremecourt.uk/cases/docs/uksc-2017-0025-judgment.pdf Consulté le 25/01/2022.

[28] Entrée en vigueur du prix minimum de l’alcool en Écosse : grande victoire pour la santé publique, Fédération addiction, 3 mai 2018 ; https://www.federationaddiction.fr/entree-en-vigueur-du-prix-minimum-de-lalcool-en-ecosse-grande-victoire-victoire-pour-la-sante-publique-en-europe/ Consulté le 28/01/2022.

[29] Ibid.