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Cet article est issu du Projet Professionnel Individuel (PPI) Alumni Students Writing Challenge (ASWC) auquel sont soumis les étudiants du Master 2, Droit des Vins et Spiritueux, de l’Université de Reims Champagne-Ardenne.
L’Alumni qui a parrainé cet article est Andréa Postiga.


Il est indéniable qu’en quelques décennies, le changement climatique a pris une place centrale au sein de la politique mondiale. En réponse à ces événements, le droit se doit de s’adapter pour s’inscrire dans la réalité pratique.


Le phénomène du changement climatique, résultant d’activités humaines, se traduit notamment par des variations des caractéristiques climatiques d’un endroit donné et peut entraîner des dommages importants comme l’accentuation de catastrophes naturelles, par exemple les sécheresses, les inondations et bien d’autres encore. De ce fait, de nombreux secteurs se retrouvent affectés tels que les domaines agricoles et vitivinicoles. En effet, « la vigne a été depuis l’antiquité la plante cultivée la plus étudiée dans le monde, du fait de sa large implantation géographique, de son évolution au fil des siècles, de sa considérable sensibilité au climat, et de l’intérêt qu’ont toujours porté les hommes à son produit résultant principal, le vin. Aucune autre denrée agro-alimentaire n’a jamais fait l’objet d’autant de dégustations, de notations, d’évaluations, et c’est ce qui fait que la vigne est une plante de référence pour l’étude des impacts des changements climatiques sur l’agriculture »[1]. Parmi les composantes essentielles de la notion de terroir vitivinicole, certaines font l’unanimité, comme le climat ou le sol. En effet, le vin, tributaire de la spécificité du terroir (pente, exposition, choix du cépage), voit ses caractéristiques évoluer en fonction des variations climatiques. Son impact est donc bel et bien reconnu comme un enjeu majeur pour l’avenir de la vigne et fait l’objet de nombreux questionnements climatologiques, économiques et juridiques.

Une question reste de ce fait en suspens, celle de savoir comment le secteur vitivinicole mondial actuel peut pallier le changement climatique et ainsi perdurer pour de nombreux autres siècles.

En effet, il semble que la prise en considération des contraintes que représente le changement climatique dans la règlementation agricole en vigueur et plus spécifiquement vitivinicole reste relativement faible, alors même que la prise de conscience du réchauffement climatique a commencé à trouver des traductions juridiques, que ce soir à travers l’Accord de Paris, la loi relative à la transition énergétique, ou encore l’objectif environnemental ambitieux de l’Union européenne concernant la réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et la neutralité climatique à l’horizon 2050[2]. La pérennité du secteur vitivinicole reste tout de même assurée puisqu’avec le déplacement du climat vers le nord, de nouvelles régions viticoles vont voir le jour. Mais qu’adviendra-t-il de celles déjà établies depuis des dizaines, voire des centaines d’années ? Quelles sont les mesures envisagées face aux répercussions de ce changement climatique et comment la règlementation aborde ce challenge mondial pour que cette prise de conscience du réchauffement climatique se répercute davantage dans les règlementations vitivinicoles ?

I/ Le défi du changement climatique dans le secteur vitivinicole

Il est indubitable que le monde vitivinicole est dépendant des caractéristiques climatiques des vignobles et que ces conséquences irréversibles entraînent forcément une remise en question des législations vitivinicoles mondiales.

Des répercussions certaines sur les vignobles mondiaux

Les experts s’accordent à dire que le changement climatique s’accompagne d’une augmentation des catastrophes naturelles, comme les sécheresses ou les inondations, ainsi que d’une évolution des climats. De ce fait, l’augmentation prédite de la température moyenne globale à la surface est d’environ 1 à 2 °C entre 1990 et 2100[3]. De plus, l’augmentation de 1 °C correspondrait à un déplacement relatif du climat de 180 km vers le nord et par conséquent à une progression significative des zones favorables à la culture de la vigne vers le nord. Néanmoins, force est de constater que l’augmentation des températures moyennes et l’évolution de la pluviométrie engendrent également des effets indirects sur les ressources et les écosystèmes.  Les étés plus chauds sont ainsi synonymes de raréfaction des ressources nécessaires à la bonne croissance des raisins et de risque d’échauffement des vignes et les longues périodes de pluie, elles, sont synonymes de risque d’érosion des sols. Ces changements affectent les vignobles et la Napa Valley en Californie, a récemment fait les frais ce fléau en voyant une trentaine de domaines entièrement ou partiellement détruits par les incendies. 

Mais les conséquences ne s’observent pas seulement sur le terrain. L’économie du secteur vitivinicole est aussi impactée, par exemple, à travers la diminution des rendements, conséquence de la raréfaction des ressources nécessaires à la bonne croissance du raisin.

Mais ce n’est pas la seule chose que l’on constate. Comme soulevé précédemment, le vin est tributaire de la spécificité du terroir. Cette notion, qui n’a pas la moindre référence législative, renvoi à priori à une origine géographique, à un ensemble de terres particulières qui donnent certaines caractéristiques aux produits qui en sont issus. C’est le lieu qui va donner sa typicité au vin, que ce soit en realtion au climat (température, éclairement) ou au sol (choix de cépage, exposition, minéraux). Par ailleurs, on retient comme définition que « le terroir vitivinicole est un concept qui se réfère à un espace sur lequel se développe un savoir collectif des interactions entre un milieu physique et biologique identifiable et les pratiques vitivinicoles appliquées qui confère des caractéristiques distinctives au produit originaires de cet espace »[4]. Ce sont donc tous les facteurs naturels qui sont transformés en terroir pour évoquer la qualité d’un produit. Le changement climatique, en modifiant les facteurs naturels, modifie également la typicité des vins, que ce soit par rapport au taux d’alcool du vin (qui augmente en fonction du taux en sucre du raisin, plus élevé avec le réchauffement climatique), à son acidité ou encore à ses arômes.

Une remise en question des législations en vigueur

La prise de conscience de ce phénomène climatique étant relativement récent (quelques dizaines d’années), les législations n’en tenaient pas compte. Par conséquent, il est évident que ces répercussions sur les vignobles mondiaux entraînent un questionnement de ces dernières. Premièrement, pour rester sur la notion de terroir, le changement climatique peut interroger sur la disparition des appellations d’origine contrôlée (AOC) et indications géographiques protégées (IGP), ou, plus certainement, une modification des cahiers des charges[5]. En effet, les AOC prévoient, dans leur cahier des charges, la détermination d’une aire géographique de production pour préserver à la fois le savoir-faire des vignerons et la typicité des vins empreints des caractéristiques du sol, du climat et des techniques vitivinicoles spécifiques. Diverses questions se posent alors comme la possibilité de délocaliser les vignobles vers le nord, les risques de sanction contre un degré alcoolique trop élevé d’un vin AOC ou IGP du fait de l’augmentation des températures ; ou encore, le choix des cépages avec la recherche de variétés de vignes résistantes à la fois aux maladies et au changement climatique. Il semblerait par ailleurs que le changement climatique ait entraîné un frein contre le mildiou. Concernant le choix des cépages en fonction de leurs exigences climatiques, un indice climatique viticole a été développé en 1978 : l’Indice de Huglin. Ce dernier calcule les températures de l’air, estime la période sur laquelle le métabolisme de la vigne est plus actif et indique un coefficient « longueur du jour » pour les latitudes les plus élevées de viticulture. Cet indice est donc fortement lié aux exigences thermiques des cépages, mais aussi aux taux potentiels de sucre du raisin et propose plusieurs catégories de climats viticoles (de très froid à très chaud).

Secondement, face au réchauffement climatique, la législation en vigueur en Europe relative à la micro-irrigation est remise en question. En effet, cette dernière a été interdite principalement pour sa connotation négative dans le domaine de la viticulture, du fait de son association à l’idée de vignobles à forts rendements plutôt qu’à des vignobles de qualité. C’est le cas notamment de la France, puisqu’on retrouve à l’article D. 645-5 du Code rural et de la pêche maritime que « l’irrigation des vignes aptes à la production de vins à appellation d’origine contrôlée est interdite (…) ». Néanmoins, face à ce phénomène, les mentalités évoluent et les législations avec.

II/ Des nouvelles perspectives pour le secteur vitivinicole mondial

Comme le soulève Jean-Marc Touzard, chercheur à l’Inra, « la viticulture n’est pas immuable et, pour se renouveler à long terme, elle doit relever trois challenges : réduire les pesticides, lutter contre le dépérissement et trouver des solutions face au changement climatique ». Et pour se faire, il a donc été nécessaire d’ouvrir le secteur vitivinicole mondial à de nouvelles perspectives.

L’évolution de la réglementation vitivinicole

Comme relevé précédemment, de nombreuses législations vitivinicoles mondiales sont remises en question et font l’objet d’une évolution. C’est le cas de la micro-irrigation, par principe interdite, mais qui peut faire l’objet de dérogations. Ainsi, selon le droit européen anciennement en vigueur[6], l’irrigation des vignobles était impossible sauf dérogation de l’État membre concerné, et ce, au regard de conditions écologiques justifiées. En effet, cette dernière a été interdite principalement pour sa connotation négative dans le domaine de la viticulture, du fait de son association à l’idée de vignobles à fort rendement plutôt qu’à des vignobles de qualité. De ce fait, la France interdit l’irrigation des vignes en AOC[7]. Cette législation fait néanmoins l’objet de dérogations dans plusieurs états de l’Union européenne. Ainsi, la France rend l’irrigation possible pour certaines AOC depuis un décret de 2006[8] récemment modifié[9]. La première irrigation sous dérogation fut alors possible pour l’appellation Pessac-Léognan, vignoble des Graves dans le vignoble de Bordeaux sur le fondement d’un été 2020 particulièrement chaud et sec entrainant « le péril qualitatif d’un important stress hydrique »[10]. Par ailleurs en Europe, l’Espagne a depuis longtemps autorisé cette micro-irrigation de ses vignobles, tout comme l’Italie qui l’autorise en cas de sécheresse et de chaleur intense dans les régions classifiées « Denominazione di Origine Controllata » (DOC), « Denominazione di Origine Controllata e Garantia » (DOCG) et « Indicazioni Geografiche Tipiche » (IGT)[11].

De plus, la question de la libéralisation de la plantation a elle aussi évolué en ce qui concerne le dispositif d’autorisation. De ce fait, il était possible de planter la variété de vigne que l’on souhaitait jusqu’au règlement de l’Union européenne n° 1308/2013, qui, à son entrée en vigueur a instauré un nouveau régime des autorisations de plantation aux articles 61 et suivants. Il n’est donc plus possible de planter sans autorisation jusqu’à 2030 au moins. Ce dispositif test, prévu pour une durée de 14 ans peut potentiellement permettre de mieux contrôler et sélectionner les variétés de vignes résistantes aux maladies et au changement climatique en fonction des régions et ainsi assurer la sauvegarde des vignobles européens et améliorer les rendements.

Finalement, il semble aussi intéressant, outre l’évolution des réglementations internationales, de faire évoluer les pratiques vitivinicoles en s’inspirant des pratiques utilisées dans les vignobles aux « conditions extrêmes » comme en Australie ou au Chili par exemple, où les vignobles sont abondants malgré les fortes températures.

Face à ces évolutions apparaît une nouvelle perspective pour le secteur vitivinicole mondial relatif à l’impact des activités vitivinicoles sur l’environnement.

Le développement d’une démarche durable

Le développement d’une démarche durable dans le contexte du changement climatique a été généralisé à tous les secteurs, et ce, dans le monde entier. La vitiviniculture est d’autant plus concernée que la vigne est une plante extrêmement fragile qui fait l’objet d’une utilisation importante de pesticides. L’idée de réduire les intrants et développer une vitiviniculture durable est encouragée par l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin au travers de plusieurs résolutions relatives à la production, la transformation et le conditionnement des produits[12]. Ainsi, la réduction des pesticides n’est pas la seule solution envisagée. D’autres étapes dans la production d’un vin sont extrêmement polluantes comme l’utilisation des machines agricoles, la production des bouteilles en verre ou encore le transport des bouteilles pour les vendre au niveau national ou international. La stratégie viticole évolue donc pour certains domaines vers le développement de l’éco-œnotourisme, encore une fois encouragé par l’OIV qui définit ce concept comme une « approche globale à l’échelle des systèmes de production et de transformation des raisons, associant à la fois la pérennité économique des structures et des territoires, l’obtention de produits de qualité, la prise en compte des exigences d’une viticulture de précision, des risques liés à l’environnement, à la sécurité des produits et à la santé des consommateurs et la valorisation des aspects patrimoniaux, historiques, culturels, écologiques et paysagers ». L’objectif est de faire coexister les aspects économiques, environnementaux, juridiques et les produits de qualité pour mieux faire face aux enjeux du changement climatique. L’Union européenne apporte également son soutien au développement rural et conditionne les aides au respect des règles de protection de l’environnement avec un soutien par le biais de subventions aux surfaces qui sont en agriculture biologiques ou en transition pour cette dernière à travers la Politique Agricole Commune. L’objectif est de motiver le plus grand nombre. La viticulture ainsi que la vinification biologique s’intègrent ainsi à la réglementation européenne à travers notamment le règlement du 8 mars 2012 qui a permis d’attribuer aux vins un label « Agriculture Biologique ». Le dessein étant de fabriquer un vin à partir d’éléments 100 % biologiques en évitant les intrants chimiques et les OGM dans l’optique de préserver l’environnement. Le logo « AB » est, selon l’article R. 641-31 du Code rural, une marque sous contrôle de l’organisme certificateur INAO. Par ailleurs, la France a récemment reconnu (en mars 2020) une définition des vins naturel, lançant ainsi la certification officielle de ces derniers sur le fondement d’une charte d’engagement instaurée par l’INAO, la DGCCRF et le syndicat de défense des vins naturel. Ces vins reprennent les principes du vin biologique en allant encore plus loin puisqu’aucun sucre n’est ajouté et que les vins sont très peu, si ce n’est, pas filtrés. Les vins labellisés biodynamiques, eux aussi en concordance avec l’agriculture biologique, peuvent également être cités ici. Ces derniers tiennent compte, dans l’élevage de la vigne, de paramètres comme les cycles du soleil et de la lune notamment.  La certification Demeter par exemple, est une marque de la biodynamie, certifiée par Ecocert. 

Ainsi, le phénomène de réchauffement climatique entraîne de sévères répercussions sur le secteur vitivinicole mondial que ce soit concernant la typicité du vin, la pérennité économique du secteur et sa mouvance juridique. Les viticulteurs, mais aussi les réglementations vitivinicoles mondiales évoluent donc afin d’allier tradition des terroirs et vitiviniculture durable et ainsi perdurer pour de nombreux siècles encore à venir.

Emma Lamboley–Duvergey

Juriste spécialisée en droit du vin et des spiritueux


[1] M. Agenis-Nevers, élève à l’INA-PG, Impact du changement climatique sur les activités vitivinicoles, note technique n° 3 de 2006 p. 19.

[2] Règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) n° 401/2009 et (UE) 2018/1999 (« loi européenne sur le climat »), JO L 243, 9 juillet 2021.

[3] Rapport de 1995 du GIEC sur les changements climatiques et leur évolution.

[4] Résolution de l’OIV relative à la notion de terroir, OIV/Viti 333/2010.

[5] Art. 105 du Règlement (UE) n ° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n ° 922/72, (CEE) n ° 234/79, (CE) n ° 1037/2001 et (CE) n ° 1234/2007 du Conseil, JO L 347 du 20 décembre 2013.

[6] Règlement (CE) n° 1493/1999 du Conseil du 17 mai 1999 portant organisation commune du marché viti-vinicole, Annexe VI, Vins de qualité produits dans des régions déterminées, C, pratiques culturales, « 1. Les pratiques culturales nécessaires pour assurer aux v.q.p.r.d. une qualité optimale font l’objet de dispositions appropriées arrêtées par chacun des États membres concernés. 2. Dans une zone viticole, l’irrigation ne peut être réalisée que dans la mesure où l’État membre intéressé l’a autorisée. Celui-ci ne peut accorder cette autorisation que si les conditions écologiques le justifient » ; abrogé par le Règlement (CE) 479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 portant organisation commune du marché viticole ; lui-même abrogé par le Règlement (CE) n° 491/2009 du Conseil du 25 mai 2009 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur, OJ L 154, 17 juin 2009.

[7] Art. D. 645-5 du Code rur. cité précédemment.

[8] Décret n° 2006-1527 du 4 décembre 2006 relatif à l’irrigation des vignobles aptes à la production des vins et appellations d’origine, JORF n° 282 du 6 décembre 2006.

[9] Décret n° 2017-1327 du 8 septembre 2017 relatif à l’irrigation des vignes aptes à la production de vins à appellation d’origine contrôlée, JORF n° 0212 du 10 septembre 2017, Texte n° 16.

[10] Abellan, A., Premières irrigations sous dérogation pour l’appellation Pessac-Léognan, article publié le 2 novembre 2020, Vitisphere. Disponible sur https://www.vitisphere.com/actualite-92712-Premieres-irrigations-sous-derogation-pour-lappellation-Pessac-Leognan.htm (Consulté le 4 avril 2022).

[11] Décret législatif italien du 19 avril 2013.

[12] Résolution CST 01-2008 modifiée par la résolution OIV-ECO 501-2017.