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Retrouvez ci-après le texte de Yann Juban. Le texte est disponible sur sa page Facebook et reproduit ci-dessous :

Réflexions sur la crise mondiale et la crise viticole

Le malaise qui s’est abattu sur le monde est-il un nouveau chaînon dans la série des crises cycliques, ou doit-il, au contraire, être considéré comme un phénomène d’une autre nature ?

La généralité de la crise était considérée comme l’une des caractéristiques du mouvement de dépression rythmique ; à l’heure actuelle, tous les pays sont atteints ; les répercussions du déséquilibre se sont constatées à l’égard de toutes les productions industrielles et aussi sur le marché financier.
Toutefois, la crise présente mérite déjà une attention particulière en raison de l’intensité catastrophique de ses effets : élévation sans précédente des barrières douanières, dépréciation des monnaies entraînant dans leur chute toutes les monnaies secondaires, véritables satellites des grandes unités monétaires, intensité du chômage ; en second lieu la crise industrielle coïncide non seulement avec une crise agricole internationale elle aussi, mais avec un bouleversement général des régimes politiques et des notions spirituelles.

Cependant, la certitude se fait de plus en plus qu’il ne s’agit pas d’un malaise de la même nature que les crises cycliques du XIXe siècle et que les lois naturelles ne suffiraient pas à ramener la prospérité.
Au XIXe siècle l’Europe, en même temps qu’elle organisait la grande industrie, découvrait, grâce au développement des moyens de transports, des débouchés nouveaux quasi illimités ; les théories libérales, division du travail internationale, impossibilité d’une surproduction générale parce que les produits s’échangent contre les produits, nécessité du libre échangisme, s’établissent d’accord avec les faits. Chacun cherche à produire le plus possible de la marchandise qui lui procure le plus de profit.
Toutes les crises viticoles présentent des caractères communs que l’on retrouve encore dans le malaise actuel :
Elles sont fréquentes : de toutes les branches de l’agriculture, il n’en est aucune qui ait été aussi fréquemment menacée de mévente que la viticulture.
Elles sont aiguës, parce que les ressources de la plupart des agriculteurs sont, en général, variées, de telle sorte qu’ils peuvent réparer les pertes subies sur certaines productions grâce aux bénéfices réalisés sur d’autres ventes ; le viticulteur ne s’adonne, en général, qu’à la culture de la vigne et, pour vivre, il ne peut compter que sur la vente du vin.
Enfin, les périodes de hausse des prix sont toujours à l’origine des crises viticoles : C’est que les produits alimentaires, spéciaux à quelques pays, qui proviennent de plantations arbustives et qui ne sont pas, en général, considérés comme des produits de première nécessité.., ont à supporter les crises les plus difficiles parce que l’adaptation de l’offre à la demande est très lente à revenir une fois l’équilibre rompu, que l’élévation des prix pendant la restriction de l’offre décourage la demande qui se tourne facilement vers des produits de remplacement.

Certaines caractéristiques particulières à la crise présente rendent encore plus difficile sa solution : la crise viticole est mondiale ; elle sévit à l’intérieur des diverses nations productrices de même que sur le marché international.
Enfin, la crise viticole coexiste avec la crise économique générale
La crise de la viticulture n’est pas dans ses éléments essentiels différente de la crise générale avec laquelle le monde est aux prises. L’on retrouve dans chacune, les deux causes classiques : surproduction et sous-consommation, les mêmes origines lointaines : apparition et développement de la production dans des nations autrefois consommatrices, accroissement du rendement, fabrication du produit standardisé et de qualité inférieure…, élévation des droits de douane, exagération des impôts, abaissement du pouvoir d’achat du consommateur mondial.

Les divers pays viticoles n’ont pas les mêmes préoccupations ; c’est que le problème ne se présente pas avec les mêmes données en Australie et en France, en Allemagne et aux Etats-Unis ; la différence de positions des divers vignobles nationaux résulte de la nature du pays, jeune ou vieux, des salaires plus ou moins élevés qui s’y pratiquent, des possibilités plus ou moins grandes qui s’y rencontrent pour la constitution de grandes exploitations, enfin de l’importance de la consommation nationale par rapport à la production.
Ainsi l’action des gouvernements au cours de la crise actuelle est-elle extrêmement différente selon la nature de chaque vignoble national ; l’on ne peut prétendre indiquer une solution technique applicable à l’ensemble de la viticulture mondiale.

L’influence de la crise générale sur le marché des vins présente des aspects différents et d’inégale importance.
D’une part, elle a entraîné une diminution du pouvoir d’achat du consommateur mondial ; d’autre part, elle a provoqué la hausse des prix du vin par une recrudescence du nationalisme économique, chaque pays essayant de protéger le bien-être de ses ressortissants derrière des barrières douanières de plus en plus élevées ; à l’intérieur de chaque nation
En diminuant toutes les formes de revenu, la crise a réduit l’importance du budget familial ; l’effort d’économie porte d’abord sur la boisson moins nécessaire à l’existence que les aliments proprement dits, moins désirables même à l’heure actuelle que la satisfaction de certains autres besoins (cinéma, sport), qui se sont créés et développés. De plus, le chômage complet atteint déjà une minorité assez importante ; quant au chômage partiel, il sévit dans de nombreux corps de métiers.

Il faut bien dire, cependant, que cette mise en vente de produits standards a été commandée, dans une certaine mesure, par les désirs du consommateur qui, habitué à certaines caractéristiques, veut les retrouver, chaque année dans le vin qu’il achète; il commence à être amené pour le vin comme pour les autres produits à standardiser ses offres; c’est là un élément de la vie économique moderne; mais c’est aussi une des causes de la crise actuelle, peut-être d’ailleurs inéluctable.

La fermeture des marchés coïncidant avec l’augmentation des quantités de vins produites d’une part, avec l’apparition de plusieurs autres causes de sous-consommation, il y a sur le marché mondial du vin un déséquilibre entre la production et la consommation. Cette crise est d’autant pins difficile à résoudre qu’elle coïncide avec une crise économique générale, dont on peut se demander de quelle manière elle finira. Il est difficile de prévoir quand l’ordre sera rétabli de quelle nature il sera.

La stabilité des économies intérieures est aussi la condition préliminaire à toute tentative d’action internationale. Il semble que l’organisation économique future doive reposer autant sur les nations que sur les intérêts professionnels ; il faut que l’accord des gouvernements viticoles vienne compléter l’action des individus unis. On aperçoit donc le double rôle de la nation pour chaque pays viticole, organisation de la production intérieure, pour tous, coopération à une politique internationale du vin.
Ainsi, le problème international du vin sera, en grande partie résolu quand les nations viticoles auront sauvé de la crise leur viticulture grâce à des remèdes établis en fonction des circonstances particulières à chaque pays

Ces réflexions ne sont pas les miennes, mais celles d’André ROUANET DE VIGNE LAVIT, Docteur en Droit, dans son ouvrage « le problème international du vin » paru en 1935, après la crise de 1928 ….

Il a été republié dans le Bulletin de l’OIV en 2006

Table des matières

INTRODUCTION
§ I. La crise économique mondiale
§ II. — La crise viticole
§ III. — La crise viticole et la loi de Riccardo
§ IV. — Existe-t-il un problème international du vin. Complexité du sujet

TITRE I – Les causes de la crise viticole

Chapitre premier. — La crise viticole. La position des divers pays
§ I. — Aspect international de la crise viticole
§ II. La position des divers pays
Chapitre II. La surproduction
§. I. — L’extension du vignoble mondial
§ II. — Augmentation de la production mondiale
§ III. — Le développement de la viticulture extra-européenne
Chapitre III. — La sous-consommation
§ I. — La prohibition
§ Il. — La crise économique
§ III. — La qualité médiocre
§ IV. — L’élévation des prix de revient et de prix de vente au détail
Chapitre IV. —. Les entraves au commerce international du vin
§ I. — Les droits de douane. Les taxes intérieures
§ II. — Les contingentements
§ III. — La concurrence déloyale. — Le dumping. — Les appellations d’origine
§ IV. — Causes secondaires des difficultés commerciales
§ V. — Le vin et la politique commerciale moderne

TITRE II – La faillite du libéralisme et l’organisation corporative

Chapitre premier. — Du libre-échange à l’économie fermée
§ I. — Retour au libre-échange généralisé
§ II. La liberté pour le commerce international du vin
Chapitre II. — Du libéralisme à l’économie dirigée
§ I. — L’évolution vers l’économie dirigée
§ II. — L’intervention, directe de l’Etat. Danger de l’Etatisme. — La politique viticole française
Chapitre III. L’organisation professionnelle
§ I. — Les principes nationaux corporatifs
§ II. — Les réalisations corporatives en viticulture
§ III. — La coopération viticole
Chapitre IV. — Les efforts internationaux
§ I. — Origine de l’organisation viticole international
§ II. — L’organisation actuelle de la viticulture internationale
§ III. — Les résultats et les possibilités de l’action internationale

TITRE III – Les solutions du problème international du vin

Chapitre I. — Mesures tendant à la restriction de l’offre
§ I. — La conservation des stocks. Le blocage
§ II. — Développement des autres débouchés du raisin non concurrents d’un vin
§ III. — La réduction des superficies plantées
§ IV. — Mesures contre les gros rendements
Chapitre II. — Le développement de la consommation
§ I. — La disparition du régime sec
§ II. — La propagande en faveur de la consommation du vin, du raisin et des industries utilisant le raisin
§ III. — La politique de la qualité
§ IV. — La déflation des prix : coût de production et prix de vente au détail
Chapitre III. — L’organisation du commerce international du vin
§ I. — Condition préliminaire. — Organisation de la production et de l’exportation dans les Etats viticoles
§ II. — Etablissement de conventions internationales
§ III. — Efforts communs des pays producteurs
§ IV. — La formation d’unités économiques
CONCLUSION
§ I. — La rationalisation de la viticulture
§ II. — Divergence des solutions nationales
§ III. — La renaissance viticole par la corporation