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Tribunal judiciaire de Marseille, 5 septembre 2024, 22/10782.

Par Ambroise Alemany, Promotion Léon Douarche (2024-2025).

Cet article issu d’un travail de rédaction auquel sont soumis les étudiants du Master 2 – Droit des Vins et Spiritueux de l’Université de Reims Champagne-Ardenne dans le cadre de leur Projet Professionnel Individuel (PPI). Dans un exercice de synthèse et de précision, ils sont amenés à rédiger un article en 500 mots, sur le sujet de leur choix. Après évaluation par le comité de rédaction de Jus Vini, certains ont l’opportunité de vous être partagés.

Le 5 septembre 2024, le Tribunal Judiciaire de Marseille rend une décision qui peut prêter à sourire. En effet, il interdit à la société Le Cellier des Chartreux d’utiliser certains termes dénigrant la religion chrétienne. En intégrant le critère des bonnes mœurs, le Tribunal de Marseille rend ici un jugement qui permet de s’interroger sur la présence de la morale en droit des marques d’alcool.

Dans les faits, la Compagnie française de la Grande Chartreuse, titulaire de la célèbre marque de liqueur « Chartreuse », a conclu en 2017 un accord avec Le Cellier des Chartreux. Dans cet accord, sont encadrés l’utilisation, par Le Cellier, du signe « Chartreux » : la Compagnie l’autorise à utiliser le terme de manière assez limitée ; en contrepartie, Le Cellier s’engage à ne pas atteindre à la religion chrétienne et à l’Ordre des Chartreux.

Or, depuis 2017, invoque la Compagnie, Le Cellier n’a eu de cesse de porter atteinte, par des noms donnés à certaines cuvées, à la religion qui a donné naissance à la célèbre liqueur. « Chamasûtra » ; « Je résiste à tout sauf à la tentation » ; « Les Chartreux partent en live » … Le Cellier se défendra sur chaque point. Chamasûtra ? Le terme fait référence aux chats de la race des Chartreux. Les Chartreux partent en live ? La société a mis en avant des visuels de chats Chartreux. Je résiste à tout sauf à la tentation ? C’est une marque de cuvée déposée valablement par Le Cellier, qui n’a rien à voir avec la Chartreuse.

Le juge donnera finalement raison à la Compagnie. Le tribunal applique d’abord le droit des contrats, en se référant à l’accord conclu entre les deux parties permettant l’usage du mot Chartreuse à certaines conditions. Dans un second temps, le juge reconnaît la violation de l’accord en interprétant les différents noms de cuvées utilisés comme allant à l’encontre de ce qui avait été convenu dans l’accord en question. Association des moines chartreux au Kama-Sutra ou encore évocation de ceux-ci dans le contexte d’évènements décadents : le juge considère que ces termes ternissent indéniablement la réputation de l’Ordre des Chartreux, ainsi que la religion chrétienne.

Bien que ce ne soit jamais mentionné au cours de la décision, le tribunal a évalué les faits au travers du prisme de la morale. Le jugement témoigne de la continuité du droit en ce qui concerne le respect des bonnes mœurs d’une population. Sans le mentionner, le juge a ici suivi l’article 6 du code civil : « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs ». Le tribunal a par conséquent considéré qu’utiliser, dans le monde des affaires, des termes se moquant de la religion chrétienne, est contraire aux bonnes mœurs. Il est par ailleurs fort probable que le milieu de l’alcool, étant fortement influencé en France par la religion catholique (héritage des moines, marques d’alcool utilisant des noms de saints), fait l’objet d’une sévérité plus grande que s’il s’était agi d’un autre domaine.

Cette application de la morale n’est pas sans rappeler qu’elle se fait aussi outre-Atlantique. En effet, en est la preuve la jurisprudence « Flying Dog Brewery v. Michigan » de 2015, opposant une brasserie souhaitant nommer une gamme de bières « Raging Bitch »et l’État du Michigan, considérant que ces termes étaient contraires aux bonnes mœurs.